Psychose (Alfed Hitchcock)

Ce n’est pas parce que ce film est un immense succès populaire qu’il ne peut pas être un chef d’œuvre, et il en est un selon mon opinion.
Je l’ai donc revu lundi soir sur Arte avec intérêt, mais pas pour les trois raisons indiquées :

http://www.metronews.fr/culture/programme-tv-3-bonnes-raisons-de-revoir-psychose-ce-lundi-soir-sur-arte/mocD!yKRXaQVEPuubw/

et certainement pas pour les « scènes cultes » (comme la douche).

Depuis 55 ans tout a été dit sur ce film, et tout ce qui est dit est souvent fort juste, et pour une fois la page Wiki est bonne:

http://fr.m.wikipedia.org/wiki/Psychose_(film,_1960)

Il faut notamment garder en mémoire que l’histoire s’inspire de la vie du tueur en série Ed Gein, en en conservant l’atmosphère d’horreur mais sans coller étroitement à la réalité, ce que la censure n’aurait d’ailleurs pas admis : ce nécrophile a non seulement déterré le cadavre de sa mère, qu’il a ensuite momifiée (comme Norman Bâtes dans le film) mais aussi ceux de plusieurs femmes, je n’insiste pas car les détails sont faciles à trouver sur Internet, pour ceux que cela intéresse et c’est de toutes façons du domaine de l’anecdote…

Mais il me semble qu’il est possible, et souhaitable, de dépasser ce niveau purement anecdotique, à travers deux thèmes qui sont exploités au début du film, lors de la conversation entre Marion Crâne et Norman Bates:

– ce sont deux êtres qui s’aperçoivent qu’ils se sont laissés « prendre au piège de la vie » mais de manières bien différentes: Marion a dans un coup de folie dérobé une forte somme d’argent à son patron dans l’espoir d’aller retrouver son amant pour l’épouser et entamer une vie nouvelle avec lui. Elle veut donc mener une vie « normale » en commettant un larcin au départ.
Norman par contre n’a jamais mené de vie « normale » et en est incapable.

– le rapport de Hitchcock aux oiseaux est à mon avis ambivalent, comme on s’en rend compte dans son film suivant « Psycho » où les oiseaux deviennent agressifs et attaquent des humains.
Les oiseaux symbolisent traditionnellement l’esprit et sa liberté par rapport aux aspects les plus contraignants de la vie. Ceci même si dans la réalité banale (comme le rappelle Norman dans le film) ils n’ont aucune liberté, sans cesse occupés à trouver de la nourriture.

Il y a quelque chose que je déteste chez Hitchcock, sans nier son immense génie (et justement à cause de ce talent hors normes) : c’est cette ambivalence vis à vis de la liberté et de l’esprit, qu’il essaye toujours de tempérer, voire d’étouffer, sous les contraintes du conformisme social.

C’est un cinéaste qui « roule pour » ce que Badiou appelle le « matérialisme démocratique » de l’Occident (ce que Rudolf Steiner appelle « ahrimanisé anglo-saxon ») sous sa guise américaine.

Donc d’un côté deux êtres qui se sont faits piéger par la vie, et de l’autre la liberté merveilleuse symbolisée ( et seulement symbolisée) par les oiseaux, ces oiseaux que Norman Bates a pour passe-temps obsessionnel d’empailler, parce qu’il hait la notion même de la liberté, incapable qu’il est de se désengluer du piège de la folie dans lequel il est pris.

Je ne vais pas jusqu’à dire que Norman et sa nature pathologique représentent Hitchcock et sa méfiance pour l’esprit : il n’aurait en tout cas certainement pas eu l’idée de réaliser un film sur la vie de Van Gogh comme celui de Minnelli en 1956 avec Kirk Douglas.

Marion n’est pas atteinte d’une pathologie comme Norman, elle s’aperçoit lors de la conversation avec le jeune homme qu’elle s’est enfermée dans une impasse, et se propose de retourner le lendemain à Phoenix pour tenter de réparer sa faute. Mais elle reste prise au piege de la vie puisqu’elle ne voit que la solution du mariage pour avoir enfin une « vraie vie » où elle pourrait enfin se « réaliser ».

Généralisons ce schéma: se laisser piéger par la vie c’est penser qu’il n’y a que la vie ordinaire et quotidienne dont il s’agit de tirer le meilleur pour « vivre heureux ».

C’est le cas de tous ceux qui ignorent que la vie n’est supportable qu’adombrée par « ce qui est supérieur à la vie », que nous appelons ici « esprit », symbolisé justement par ces oiseaux dans leur dimension verticale de liberté que Norman « fixe » en les empaillant.

Marion est aussi reliée aux oiseaux puisque son nom de Crane signifie : « grue ».

La « mère » maléfique qui « cloue » Norman à son destin de psychopathe symbolise les forces de la génération qui transmettent ce qui est « seulement la vie biologique », et certainement pas l’esprit : la mère d’Ed Gein , et donc celle de Norman, était, en plus d’être possessive, extrêmement « croyante », mais ici comme toujours la « religion » qui se transmet par les parents (et surtout la mère, à cause de sa proximité avec le jeune enfant les premières années) ne srt qu’à étouffer les forces de l’Esprit, qui doit conquérir sa liberté de haute lutte.

La vie des générations successives peut être rattachée à l’axe horizontal de la Croix : c’est « le cauchemar de l’Histoire dont je cherche à m’éveiller » (James Joyce).

L’axe vertical de la Croix est celui de l’Esprit, de l’éternité qui n’est pas la perpétuité de l’axe horizontal.

Et l’on comprend pourquoi les oiseaux qui évoluent dans « la dimension verticale » symbolisent la liberté de l’esprit.

Whitehead utilise quant à lui dans « Process and reality » la métaphore du « vol d’un avion » pour caractériser la véritable méthode de la découverte en métaphysique : un envol quittant le sol de la « réalité factuelle » pour le ciel de la généralisation imaginative avant de revenir atterrir, mais ayant gagné de nouvelles idées.

On voit donc qu’Hitchcock a « dit » ou suggéré beaucoup plus de choses qu’il n’aurait voulu dans ce film extraordinaire.

Et la meilleure réponse à faire à Norman le psychopathe empailleur (mais bien sûr il ne l’aurait pas comprise) est celle du poète Guillevic qui n’hésite pas à s’adresser aux oiseaux:

« Qu’as tu de plus que moi, camarade Corbeau ?

Tu évolues dans les trois dimensions, c’est entendu, et les labours te préfèrent …

Mais pose tes questions »

Le questionnement, la mise en question de tout : voilà la clef qui ouvre la serrure du piège de la vie.

La manière dont Ed Gein pendait les corps nus et suppliciés de ses victimes par les pieds est une contrefaçon satanique de l’axe vertical de l’esprit.

Le centre de la Croix est le croisement du temps (horizontal) et de l’éternité (verticale) : l’instant, l’éclair qui illumine.

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